Aux temps des châteaux (page 2/6)
Le château, image d'une aristocratie guerrière

Château de Talmay, vers 1460 (A.D.C.O., B 263)

Ce plan coloré sur parchemin représente, vers 1460, la tour maîtresse, le donjon du château de Talmay. La famille de Pontailler tient cette forteresse, sur une île de la Vingeanne, du XIIIe au XVIIesiècle. La tour se dresse toujours au centre du château actuel, transformé en résidence somptuaire en 1762.

Le donjon, tour carrée de 12 mètres sur 12, s’élève à plus de 30 mètres dans un appareil en beaux blocs de pierre réguliers. Il compte ici quatre étages représentés dont le dernier avec ses fenêtres de tir, protégé par un toit à quatre pans de tuiles rouges. Ces hautes tours maîtresses, carrées ou rectangulaires, se rencontrent beaucoup en Bourgogne où les tours cylindriques restent minoritaires.

Ce donjon exprime la puissance militaire du châtelain qui le tient. Il domine largement ici les masures paysannes qu’il doit protéger et impressionner. Il s’ouvre d’ailleurs vers le village très proche, avec lequel il forme un ensemble cohérent. Ses étages supérieurs servent de lieu de résidence et de protection à la famille du guerrier. Ils abritent la salle où celui-ci, seigneur, reçoit ses obligés.

Sur ce plan, seuls les clochers des églises voisines rivalisent en verticalité impressionnante avec le donjon de Talmay. Cette représentation suggère, au XVe siècle, la puissance militaire et le pouvoir civil du châtelain à travers l’architecture symbolisée de son château fort de plaine.

 

Château de La Rochepot, XVIIe siècle (A.D.C.O., F 52)

Alexandre de Bourgogne, fils du duc Hugues III, construit ce château de relief, appelé alors La Roche Nolay, à la fin du XIIesiècle. Régnier Pot achète la forteresse en 1403. Il la transmet à ses descendants qui complètent son système de défense, parmi lesquels Philippe Pot, conseiller de Philippe le Bon, Charles le Téméraire et Louis XI. Elle devient La Rochepot et connaît plusieurs lignages de châtelains, dont les illustres Montmorency, avant d’être achetée par Pierre Le Goux de la Berchère en 1644. Restauré, le château reste dans ce lignage jusqu’en 1741. Démoli à la Révolution, la famille de Sadi Carnot l’achète en 1893 et le fait reconstruire. Elle le possède toujours en 2003.

Cette tibériade qui porte les armoiries des Le Goux de la Berchère est donc postérieure à 1644. Or, elle propose bien l’image naïve d’un château fort du XVe siècle.

L’architecture guerrière médiévale, signe du pouvoir seigneurial et féodal, s’impose : le donjon, grosse tour carrée maîtresse, deux tours rondes cornières, les courtines, une petite barbacane, le tout percé de quinze fenêtres de tir et entouré de fossés. Un unique pont-levis franchit ceux-ci, équipé d’une porte piétonne, d’une porte charretière, dominé par trois flèches et leurs rainures. Il fonctionne et reçoit en décor les armoiries de Pierre Le Goux, chevalier, seigneur de la Berchère, Boncour, Vosnes…, marquis de Dinteuille, comte de La Roche-Pot…, qui « porte d’argent à une teste de more de sable, bandée d’argent, accompagnée de trois molettes de gueules ». La couronne comtale surmonte la blason.

La  maçonnerie de qualité de cet ensemble souligne la beauté et la puissance qui sied à ce symbole de la féodalité.

A la fin de la Guerre de Trente ans, la forteresse, par des défenses orgueilleuses en bon état, affiche son rôle stratégique, protecteur et dissuasif dans des campagnes beaunoises de plus en plus sûres. Mais, ainsi, elle affirme les  signes identitaires de la noblesse par le droit de se fortifier.

Les éléments de modernisation et de confort des XVIe et XVIIesiècles apparaissent. De larges fenêtres percent le donjon, une tour d’angle et la courtine, tout au long de laquelle le logis seigneurial, plus confortable, peut s’organiser. Un escalier à vis, dans une tourelle extérieure, permet l’accès séparé aux pièces ainsi isolées et protège la vie privée. De hautes cheminées coiffent les colonnes chauffantes qui adoucissent les pièces. Des toits recouvrent donjon, tours, pont-levis et chemin de ronde des courtines. La naïveté de leur représentation suggère des décorations colorées, des girouettes et des bannières, symboles de la beauté et du luxe propres à la noblesse, mais atténue le caractère guerrier de l’ensemble.

Cette architecture, en partie dépassée, et cette symbolique utilisent les signes de la féodalité pour exprimer, dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, les pouvoirs et les droits du seigneur dans un contexte où l’insécurité générale disparaît. Le lignage détenteur de l’édifice, en recherche de confirmation de noblesse par ses pairs et ses sujets, s’identifie à son habitat. Il utilise la beauté, la puissance, l’image mémoriale de son château acheté et rénové, vitrine magnifiée de son lignage, pour parachever son intégration dans la noblesse bourguignonne.

 Mais, fait significatif, l’auteur de ce dessin représente le château des Le Goux étrangement seul, comme un bijou sur un coussin ! Or, si au XVIIe siècle, le monde paysan apparaît autour de ce bâtiment, cette représentation l’exclut. Est-ce une illustration de la rupture sociale qui s’amorce entre une noblesse qui montre sa différence et s’isole et le reste de la population dont elle se dit responsable ? Nous mesurons l’évolution avec Talmay.

Sceau de Bourmont (Haute-Marne), 1303 (A.D.C.O., B 545)

Le sénéchal de Bourmont utilise l’image d’un château fort crénelé avec donjon, tours, courtines percées d’une vaste porte en ogive, sur son sceau, symbole de sa fonction. Il associe donc bien à son image d’aristocrate guerrier celle du château qu’il tient, dont il assure la défense et d’où il administre sa juridiction.

Le châtelain et sa fonction s’identifient ici au château.

  

Château d’Arc-sur-Tille, 1610 (A.D.C.O., C 2819)

Sur un plan de 1610 apparaît ce château fort de plaine sur plate-forme fossoyée. Il s’agit de la forteresse de Saulx qui a gardé son plan médiéval quadrangulaire. Ce bâtiment carré comporte quatre corps de logis sur cour intérieure défendus par quatre tours cornières et des fossés en eau.

L’ouverture de larges fenêtres dans les courtines lui font perdre son caractère guerrier pour un aspect plus résidentiel. Ce château devient plus défendable que défensif malgré ses apparences militaires. Il a totalement disparu.

 

 

Château de Blaisy-Haut, XVIIe siècle (A.D.C.O., E 1591) ; 2003 (photographie non représentée)

Ce beau château de relief déjà connu au Xe siècle subit plusieurs réaménagements jusqu’au XVIIIe siècle. Il appartint à plusieurs lignages, dont les Pot, avant la famille Joly, des parlementaires dijonnais qui le détiennent du début du XVIIe à la fin du XVIIIe siècle, et qui ont commandé ces plans. Cette forteresse s’organise nettement autour d’une basse cour avec ses bâtiments d’exploitation et d’une cour d’honneur, où se situent les logis du châtelain et une chapelle prévue dans les aménagements. Des tours et courtines, qui épousent les irrégularités de l’éperon rocheux, et un fossé à l’extrémité coté plateau protègent le tout.

La chapelle gothique semble rénovée dans ce projet. Décorée luxueusement, parfois par des carreaux de faïence, elle rehausse le prestige du lignage et peut lui servir de sépulture. Mais elle contribue à l’isolement du châtelain de ses paysans et le matérialise.

Dès le XVIIe siècle, beaucoup de châteaux de relief comme celui-ci, qui ont gardé leur aspect de forteresse, sont abandonnés. Leur ravitaillement en eau, ici assuré grâce à un puits dans une tour, leur modernisation et l’aménagement de jardins s’avèrent impossibles sur l’éperon.

Sceaux : 1281 (A.D.C.O., B 304, p.s. 434, non représentée), 1314 (A.D.C.O., B 1323), 1302 (A.D.C.O. , B 304, p.s. 449 non représentée)

Nous possédons peu de représentations iconographiques des châtelains, ces maîtres inséparables des châteaux. Les sceaux nous donnent une image conventionnelle de leur propriétaires et cherchent à exprimer les symboles de la noblesse et leur puissance.

Deux grands sceaux représentent un guerrier à cheval : le sceau vert à sénestre d’Othon IV, comte palatin de Bourgogne, de 1281, et le sceau rouge à dextre d’Etienne de Mont-Saint-Jean, de 1314. Les deux nobles personnages s’identifient par les blasons de leurs différents fiefs. Protégés par un heaume à aigrette et une armure, ils brandissent la large et longue épée de taille, symbole de la chevalerie, et chargent avec fougue sur un cheval caparaçonné au galop.

Ils dégagent une impression de mouvement, de beauté, de vaillance et de puissance, car au XIIIe siècle la guerre est belle. Le chevalier, chargeant à cheval au service de son seigneur ou de ses vassaux, est considéré comme une des plus belles scènes qui soient.

Toute autre est l’impression laissée par le grand sceau d’Hugues le Brun,  comte de la Marche, sur un acte de 1302. Il chevauche, beau, calme et serein, avec un cor, un chien et un faucon. Il chasse , autre activité de plus en plus réservée à la noblesse au XIVe siècle. Le sceau en navette de Béatrice, son épouse, propose l’image d’une belle châtelaine au gracieux déhanchement et au plissé dignes des sculptures bourguignonnes du XIVe siècle. La noblesse doit paraître belle et afficher son altérité.

 

   

Château  de Duesme, tibériade de 1696 (A.D.C.O., 111 H 6) ; gravure du XIXe siècle ; cliché de 2003 (non représenté)

Ce très vaste château fort de relief, forteresse ducale du Duesmois de 1300 à 1477, reste encore le siège d’une seigneurie au XVIIe siècle. Il regroupe tous les éléments du pouvoir seigneurial, surtout les fossés et le chaffaud, avec son pont-levis et ses chaînes.  Mais il perd sa valeur stratégique dans un royaume pacifié.                                                     

Construit sur la totalité d’un éperon dominant la haute vallée de la Seine, il est progressivement abandonné au XVIIIe siècle.

 

Château de Saint-Seine-sur-Vingeanne, vers 1760 (A.D.C.O., E 1172)

Le  château fort de plaine de Saint-Seine-la-Tour garde un plan quadrangulaire comme environ les trois quarts des châteaux bourguignons. Ce plan, peut-être d’origine romaine, se retrouve dans les forteresses royales d’Ile-de-France au XIIe siècle.

Tous les symboles emblématiques du droit de se fortifier et de dominer figurent ici : quatre tours cornières, avec fenêtres de tir et toits de tuiles,  reliées par des courtines entourent une cour carrée avec des bâtiments accolés aux remparts. Une tour-porche, le chaffaud, protégée par son étage de tir, très répandue avec son pont-levis, sa porte charretière, ses flèches et rainures, ses armoiries, garde l’accès à la cour. Là s’élève une tour maîtresse, rectangulaire, le donjon, avec escalier extérieur et quatre niveaux, dont un étage de tir.

Cette vaste cour intérieure fortifiée  permet d’assurer le droit de retrait des paysans de la seigneurie et le devoir de protection du seigneur. Il pourra en retour demander aux paysans un droit de garde. Ces défenses dissuadent plus d’attaquer qu’elles ne permettent de résister, surtout face à l’artillerie.

Un colombier, équipement qui apparaît souvent au XIVe siècle, complète l’ensemble et un hémicycle d’arbres met en scène les accès de cette résidence noble disparue en 1795.

 

 

Trois gravures du XVIIIe siècle, tirées de dom Plancher, l’Histoire générale et particulière du duché de Bourgogne , vol. 1

Les maîtres des châteaux apparaissent à partir d’éléments de leur monuments funéraires médiévaux. Jean de Vergy et Gautier de Saulx arborent armure, épée, écu, cotte de mailles et lance d’estoc, qui sont autant de symboles de l’aristocratie guerrière, comme les lions, à leurs pieds, représentent la vaillance.

 

Déclarations de foi et hommage : actes de 1454 (A.D.C.O., E 34, non représenté) et

de 1761 (A.D.C.O., 13 F 110, non représenté)

En 1454, Geoffroy de Beauvoir  prête serment de foi et hommage à Antoine de Seigny, seigneur de Saffres.

En  1761, Guillaume Baillet fait au roi Louis XV foi, hommage et serment de fidélité pour la seigneurie d’Echigey qu’il reçoit en héritage avec droit de justice haute, moyenne et basse pour le hameau de Pontemery.

Ces deux actes montrent la permanence des relations vassaliques du XVe au XVIIIe siècle. Mais l’évolution politique, sociale et économique les a vidées de leur sens et le jeune Baillet vendra sa seigneurie quelques années plus tard, comme une simple exploitation agricole. Les liens et le contrat avec les paysans s’évanouissent, marquant la crise de la société d’Ancien Régime. L’évolution matérielle des châteaux sanctionne cette rupture.

 

 

Terrier de la seigneurie de Saffres, 1499, (A.D.C.O., E 35, non représenté), cadastre de 1836 et cliché de 2003

Un terrier est un inventaire notarié des tenanciers d’une seigneurie et de leurs tenures avec indication de leurs redevances et services à payer au seigneur. Le présent terrier débute par la description du château (le « castel » selon le vocabulaire de 1499) de Saffres, siège du pouvoir seigneurial d’Othenin de Cléron.

Ainsi apparaissent les différents bâtiments, leur agencement, leurs pièces et leur aménagement : la basse-cour, le pourpris, le donjon, le corps de maison avec ses quatre étages, sa salle, sa chambre, son grenier, plusieurs tours dont la tour Beauregard avec son puits, son cellier et ses deux chambres avec cheminée, sur trois étages reliés par escaliers de bois, la cuisine isolée avec ses fours et cheminées, garde-manger et cellier, la tour du pont-levis, le chaffaud, avec ses chaînes, les courtines, les fossés,  le moulin banal, deux écuries,…

     Le notaire décrit bien la topographie classique de l’habitat châtelain médiéval. La distribution verticale du corps de logis domine encore ici en 1499. Au premier étage, la salle, la grande salle, l’aula, demeure le premier lien de sociabilité du château où le maître tient conseil et jours de justice, donne ses fêtes et rend l’hospitalité. Elle doit être proche de la cuisine, isolée par crainte d’incendie. La chambre privée de retrait, la camera, occupe le deuxième étage, accessible par un escalier intérieur de bois qui nuit encore à l’intimité des maîtres. Mais la division de l’espace paraît nette, opposant privé et public, nobles et serviteurs, feu qui cuit et feu qui chauffe …

Le notaire cite souvent la position du soleil qui est déjà recherché par souci de confort et de salubrité, comme l’exprime le nom Beauregard donné à la tour sud.

L’inventaire de matériaux de construction suit : bois des planchers, des escaliers, laves des toits, des voûtes, etc.

 

 

Château de Seurre, 1713 (A.D.C.O., C 4200) et 1648, (A.D.C.O., C 4198)

Deux élévations du château seigneurial, résidence somptuaire construite en briques, avec chaînages de pierre dans une région où ce matériau est rare. Il s’agit du château construit pour le duc de Bellegarde, prédécesseur des princes de Condé dans la charge de gouverneur de Bourgogne. C’est un bel exemple de style Louis XIII. Ces documents n’ont pas pour objet de le représenter, mais ils fournissent un témoignage précieux sur l’aspect extérieur de ce monument disparu.

 

Les pierres des châteaux parlent des seigneurs et de la société d’Ancien Régime, de la volonté de maintenir les symboles de l’essence aristocratique malgré les évolutions sociales. Le château présente des aspects militaires, stratégiques et leurs évolutions, protège la famille du seigneur, permet de rechercher une identité nobiliaire guerrière, joue un rôle mémorial, impose l’affirmation du pouvoir des châtelains, par la force ou l’esthétique, sur la seigneurie et montre l’évolution du mode de vie, des croyances et des représentations nobiliaires. Sans château, pas de pouvoir, pas de noblesse ?  Mais la noblesse du XVIIIe siècle peut fort bien ne pas posséder de château.

 

 

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