La chambre des comptes de Dijon (page 7/7)
Suppression révolutionnaire, destinée posthume …

La suppression révolutionnaire

 

En dehors des critiques portant sur le peu d’utilité et, en tout cas, d’efficacité, que présentaient, à la fin du XVIIIe siècle, les chambres des comptes du royaume, la décision des Constituants de 1789 de mettre un terme à tous les organes d’Ancien Régime suffisait à laisser augurer la disparition de ces institutions largement obsolètes. 

Plusieurs textes organisèrent ce processus en 1790 et 1791 :

—    un décret de l’Assemblée constituante des 6 et 7 septembre 1790, sanctionné le 11 septembre suivant, pose, en l’article 12 de son titre XIV, le principe de la suppression des chambres dès qu’un « nouveau régime de comptabilité » aura été mis en place (75) ;

—    un décret du 1er octobre 1790, sanctionné le 5, enjoint à tout comptable de rendre par-devant les commissaires des départements leurs comptes non encore jugés et au chambres des comptes de remettre aux départements toute pièce relative à ces comptes ;

—    un décret du 22 décembre 1790, sanctionnée le 5 janvier 1791, interdit toute nouvelle présentation de comptes aux chambres en sursis ;

—    un décret du 4 juillet 1791, sanctionné le 25 août, rend effective la suppression des chambres à la date où il serait notifié et prescrit l’apposition des scellés sur les greffes, dépôts et archives des chambres ;

—    un dernier décret de l’Assemblée constituante, du 17 septembre 1791, promulgué le 29 septembre suivant, met en place le nouveau régime de la comptabilité publique : son titre I reprend à l’identique les dispositions du décret du 4 juillet précédent portant suppression des chambres et organise la cessation de leur activité et la transmission des comptes en souffrance ; ses titres II-IV dessinent la nouvelle organisation du contrôle des comptes, instituant notamment un Bureau de comptabilité, central (76) ;

—    un décret de l’Assemblée législative des 13 janvier, 3 et 8 février 1792, promulgué le 12 février, organise le nouveau Bureau de comptabilité. 

À Dijon, la disparition de la chambre ne se fit pas sans arguties d’arrière-garde de l’intéressée, interférant avec un conflit assez âpre entre les Élus des anciens États du duché et la toute nouvelle administration départementale au sujet de la transmission des comptes et états d’imposition de la province. Ainsi, alors même que, passé juillet 1790, on ne trouve plus trace du moindre arrêt de la chambre (78), celle-ci, le 9 août 1790, prétendait-elle continuer à recevoir les comptes des comptables de son ressort selon les anciens règlements jusqu’alors en vigueur. À quoi répliqua, le 13 août, une sévère diatribe du Commissariat en charge de la  liquidation des affaires de l’ancienne province, manifeste où l’on pouvait notamment lire que la chambre « n’a d’autre droit que celui d’additionner des chiffres, d’autre intérêt que celui de taxer les épices », concluant que point n’était besoin d’un décret positif pour la congédier, car elle n’était pas une juridiction dont la disparition brusque risquât de mettre en péril certains intérêts, car « le dernier commis peut la suppléer et calculer comme elle ».  

C’est la loi du 25 août 1791, enregistrée à Dijon le 21 septembre, qui fut ici appliquée pour clore toute activité de la chambre : dès le 2 octobre, le directoire de la Côte-d’Or fit notifier ce texte au greffier en chef de la chambre, Jean Cinqfonds (en fonction depuis 1745), qui assista le lendemain à l’apposition des scellés sur les locaux de la défunte institution par les commissaires du département. Désormais, le siège et les archives de la chambre étaient en quasi déshérence : il fallut attendre juillet 1792 pour, les scellés levés, pussent commencer les opérations de triage des documents prescrits par les autorités nationales et faciliter l’apurement difficile des comptes en souffrance (77, 79). Commençait alors l’histoire des vicissitudes des archives de la chambre …

 

La fin de l’institution

 

 

    

75. Loi programmant la suppression des chambres des comptes, Saint-Cloud, 11 septembre 1790. 

Le roi sanctionne le décret de l’Assemblée nationale des 6 et 7 septembre 1790, titre XIV, « De la suppression des anciens offices et tribunaux », dont l’article XII prescrit la suppression des chambres des comptes « aussitôt qu’il aura été pourvu à un nouveau régime de comptabilité ».

Archives départementales de la Côte-d'Or, L 1/1.

Recueil imprimé des lois et décrets de l’Assemblée nationale.

 

 

  

  

   

76. Loi supprimant effectivement les chambres des comptes, Paris, 29 septembre 1791.

 

Le roi promulgue le décret de l’Assemblée nationale du 17 septembre relatif à la suppression des chambres des comptes et à la nouvelle forme de comptabilité. 

Le titre I de cette loi organise la cessation des fonctions des chambres des comptes (un décret du 8 mai précédent avait liquidé les offices des chambres), notamment la transmission des comptes non encore jugés à des commissaires nommés par les directoires des départements. Les titres II-IV mettent en place une nouvelle organisation de reddition des comptes publics, autour d’un Bureau national de la comptabilité, objet d’une loi spécifique le 12 février suivant.

Archives départementales de la Côte-d'Or, L 797.

Cahier imprimé, à Paris, de l’Imprimerie royale, 24,5 x 20 cm, 12 pages.

 

   

77. Lettre du nouveau Bureau de la comptabilité nationale réclamant l’état des comptes non encore apurés par l’ex-chambre des comptes de Dijon, Paris, 18 avril 1792. 

Les « commissaires de la comptabilité » réclament au directoire du département l’état des comptes non encore apurés que ceux-ci auraient dû retirer du greffe de l’ancienne chambre des comptes pour les transmettre au Bureau de la comptabilité à Paris.

 

Archives départementales de la Côte-d'Or, L 797.

Bi-folio, 32 x 21 cm.

 

Des travaux interrompus

 

 

78. « Regître des arrêts de la chambre des comptes de Bourgogne, Bresse, Bugey etc., commencé le 19 novembre 1787 et fini le 23 juillet 1790 ».

 

Comme l’indique la note écrite a posteriori sur le plat supérieur de la couverture, « ce regître est absolument le dernier, attendu la suppression de cette cour par l’effet de la Révolution ». On y trouve essentiellement des mentions d’enregistrement de provisions d’offices, de réception de foi et hommage féodaux envers le roi, et de lettres patentes de portée générale (sur décrets de l’Assemblée nationale à partir de septembre 1789).

Archives départementales de la Côte-d'Or, B 238.

Registre papier, 71 feuillets, 25 x 20 cm.

 

  

79. « État des comptes non encore définitivement jugés, apurés et corrigés, qui existent dans les dépôts de la ci-devant chambre des comptes de Bourgogne et Bresse », Dijon, 2 janvier 1792 

État arrêté par les commissaires du département en vertu de l’article 4 du titre I de la loi de septembre 1791 supprimant les chambres des comptes. Si le traitement des comptes de la Recette générale accuse un retard de quelques années seulement, les comptes particuliers sont souvent en souffrance depuis 20, voire 30 ans. 

Archives départementales de la Côte-d'Or, L 797.

Cahier papier, 12 feuillets, 33,5 x 21 cm.

 

Destinée posthume : archives et histoire de la chambre

 

Si l’institution elle-même disparut en 1791, puis, au XIXe siècle, les bâtiments qui l’avaient abritée plusieurs siècles durant, sa mémoire n’en fut pas pour autant effacée : la masse considérable de ses archives, plutôt bien préservées des autodafés révolutionnaires (80) par quelques responsables éclairés de l’époque, au premier rang desquels Jean-Baptiste Peincedé (1741-1820), leur ancien garde (81), devait permettre d’en retracer l’histoire en puisant à des sources de première main. 

Mais, au-delà de la seule institution qui l’a produit, ce fonds, qui avait absorbé le trésor des chartes des ducs de Bourgogne, a aussi pour richesse de documenter pratiquement tous les aspects de l’histoire médiévale de la Bourgogne à partir du XIVe siècle, voire depuis le XIIIe, de même que des pays de l’Ain, en raison de l’extension du ressort de la chambre en 1661. Et les siècles suivants, en dépit de l’amoindrissement des compétences de la chambre, s’y trouvent encore abondamment éclairés en matière d’histoire domaniale locale. 

Ce gisement, qui occupe actuellement aux Archives départementales de la Côte-d'Or qui l’on recueilli en 1798, quelque 740 ml de rayonnages, est heureusement accessible au moyen de deux instruments de recherche : le gigantesque Recueil d’inventaires détaillés des diverses sections du fonds, compilé en une trentaine de volumes in-folio par Peincedé quand il était en charge et encore plus tard (82) et pourvu par lui d’amples tables par nom de lieu et de personne, et, l’Inventaire sommaire du fonds publié en 5 volumes de 1863 à 1878 par les deux archivistes successifs des Archives départementales de la Côte-d'Or, Claude Rossignol et Joseph Garnier (83, en consultation libre) : cet inventaire, évidemment beaucoup moins détaillé que ceux de Peincedé, correspond au contenu et au classement au fonds après son entrée aux Archives départementales, soit un état sensiblement amoindri et une structuration très différente par rapport à l’époque de Peincedé. 

L’importance de ce fonds n’avait évidemment pas échappé aux historiens locaux dès l’Ancien Régime. C’est, par exemple, en priorité dans ce fonds que Dom Plancher et Dom Merle trouvèrent la matière des quatre gros in-folios de leur Histoire générale et particulière du duché de Bourgogne qu’ils publièrent de 1739 à 1781, de même qu’Étienne Pérard, qui était maître en la chambre depuis 1615 et en mourut doyen en 1663, y avait trouvé plusieurs des documents qui furent publiés en 1664 dans son Recueil de plusieurs pièces curieuses servant à l’histoire de Bourgogne. 

En revanche, s’agissant de l’histoire même de la chambre, l’Ancien Régime produisit peu. Un seul ouvrage vit en effet le jour sur ce sujet avant le XIXe siècle, un assez mince in-folio publié à Dijon par Hector Joly, d’abord en 1640, puis augmenté en 1653, sous le titre de Traité de la chambre des comptes de Dijon, son antiquité et establissement, ses honneurs, privilèges et prérogatives (84). Son auteur, collègue et exact contemporain de Pérard, fut maître en la chambre de 1616 à 1660. Mais, bien que puisant dans les archives de l’institution, l’ouvrage est décevant dans son propos, presque entièrement limité à la question des privilèges et prérogatives de la chambre et de ses officiers, sans retracer de façon complète et logique l’histoire de la cour.

Aussi, au siècle suivant, un érudit dijonnais apparenté à plusieurs officiers de la chambre, le jésuite Bernard Gautier (1697-1781), entreprit-il la rédaction de deux volumes sur le sujet : une Notice très développée sur l’histoire de la juridiction et son personnel et, surtout, un Armorial des membres, pour lequel il recourut à des collaborateurs. Le père Gautier ne put malheureusement pas ou n’envisagea pas de publier ce diptyque, qui resta à l’état de manuscrit (avec plusieurs copies). L’un des exemplaires de l’Armorial, intégré par Peincedé à sa collection d’inventaires de la chambre des comptes, est conservé aux Archives départementales de la Côte-d'Or. 

Et c’est sur la base de cet ouvrage du père Gautier, entièrement refondu, corrigé et complété, qu’en 1881, Jules de Maulbon d’Arbaumont (1831-1916), lui-même descendant d’une famille qui avait compté deux trésoriers de France (l’un aussi élu du roi), publia, sous le titre d’Armorial de la chambre des comptes de Dijon, le livre sur lequel se fonde aujourd’hui toute étude du personnel de la juridiction, et aussi du bureau des finances de Dijon, dont traite l’auteur dans un chapitre entièrement neuf (85). Outre les blasons des familles concernées, on y trouve en effet des notices de fonctions ou généalogiques plus ou moins développées pour chacun des 1400 officiers et plus recensés dans toute l’histoire de la chambre, présentés par catégorie d’office et, pour chaque catégorie, dans l’ordre chronologique d’entrée en charge. En outre, l’introduction ébauche une histoire de la chambre, sujet que l’auteur avait prévu de traiter ensuite de façon spécifique dans un second ouvrage. Celui-ci ne vit jamais le jour, mais les notes accumulées par J. d’Arbaumont dans cette perspective ont été recueillies ensuite par les Archives départementales de la Côte-d'Or, où l’on peut les consulter. 

Depuis la parution de cette somme, seule la période médiévale de l’histoire de la chambre a donné lieu à publication, sous la forme de deux petits ouvrages parus au début du XXe siècle, sous la plume de deux juristes. Encore ces ouvrages sont-ils partiels. En effet, dans le premier, publié en 1908 à Dijon par Paul Riandey sous le titre L’organisation financière de la Bourgogne sous Philippe le Hardi (86), la chambre n’est l’objet que du quatrième et ultime chapitre (à noter que, dans les documents annexes, la transcription de l’ordonnance de 1386). Et si le second, Édouard Andt, La chambre des comptes de Dijon à l’époque des ducs valois. Tome premier, Paris, 1924 (87), traite bien exclusivement de la chambre, il ne constitue que le premier volet d’un diptyque inachevé : le deuxième volet, jamais paru, devait traiter de la compétence de la chambre en matière d’impôts. Même tronqué, cet ouvrage, qui étudie dans le détail le fonctionnement de la chambre et sa compétence domaniale, primordiale, demeure une solide introduction à l’histoire de la juridiction.

  

Le sort des archives de la chambre

 

80. Arrêté portant vente des papiers inutiles de l’ancienne chambre des comptes Dijon, 12 pluviôse an IV (1er février 1796).

Arrêté de l’administration départementale prescrivant : 

— la vente des « papiers inutiles » de la « ci-devant » chambre des comptes de Dijon ; 

— la publicité de cette vente, notamment dans les cantons où se trouvent des fabriques de papier (afin de convertir ces documents en papier blanc). 

Les archives de l’ancienne chambre demeuraient encore dans les locaux de celle-ci, sous la responsabilité plus ou moins officielle de l’ancien « garde des livres » de la chambre, Jean-Baptiste Peincedé. C’est en 1798 seulement que le fonds gagna les toutes nouvelles Archives départementales, alors installées dans la « Maison nationale », l’ancien palais du roi (actuelle mairie de Dijon).

Archives départementales de la Côte-d'Or, L 797.

Feuillet papier, 24 x 18 cm.

 

  

81. Prospectus de Jean-Baptiste Peincedé proposant ses services pour accéder aux archives de la chambre, vers 1793.

Par ce prospectus, l’ ancien garde des « livres », c’est-à-dire des archives de la chambre des comptes de 1771 à 1786, fait connaître l’utilité de l’inventaire qu’il avait réalisé de ce fonds, qu’il détient toujours et qui lui facilite notamment les recherches en matière de biens nationaux que l’on peut solliciter de lui.

Archives départementales de la Côte-d'Or, 1 J 077.

Bi-folio imprimé, “ à Dijon, de l’imprimerie de Defay ”, 21 x 14 cm.

 

 

82. Inventaire des archives de la chambre dû à Jean-Baptiste Peincedé :

tome XXI, portant sur une partie des titres de Bresse, fin XVIIIe siècle. 

Réalisé pour l’essentiel alors qu’il était « garde des livres » de la chambre (1771-1786), mais complété ensuite jusque vers 1793 et pourvu d’une copie de sécurité, le gigantesque recueil de 37 volumes in-folio auquel appartient ce registre demeure un instrument de recherche inégalé pour ce fonds d’archives qu’il inventorie de façon exhaustive, en raison de son caractère analytique et des tables par noms de lieu et de personne dont il est pourvu. 

Il a été en outre annoté en marge des cotes données aux articles de ce fonds lors de son reclassement aux Archives départementales de la Côte-d'Or. 

Il convient enfin de signaler que, depuis une date récente, le Recueil de Peincedé est consultable sur le site internet des Archives départementales de la Côte-d'Or (www.archives.cotedor.fr).

Archives départementales de la Côte-d'Or, B 12014/1.

Un registre petit in-folio, 803 pages.

 

 

83. L’inventaire « sommaire » des archives de la chambre publié par les Archives départementales de la Côte-d'Or, 1863-1878, 5 volumes.

Entré aux Archives départementales de la Côte-d'Or en 1798, le fonds d’archives de la chambre ne correspondait plus à ce que Peincedé avait inventorié. Il fit donc plus tard l’objet d’un reclassement et d’un nouvel inventaire, répondant aux normes édictées en 1854 par le ministère de tutelle, alors celui de l’intérieur. 

Deux archivistes successifs s’y attelèrent : Claude Rossignol, qui présida aux destinées du service de 1841 à 1862, et surtout son successeur, Joseph Garnier († 1903). Les 5 volumes in-quarto, échelonnés sur quinze ans et totalisant plus de 2000 pages, qui furent nécessaires pour couvrir l’ensemble du fonds, sont dus, le premier à Rossignol seul, le second aux deux archivistes et les trois autres au seul Garnier.

  

Historiens de la chambre

 

    

84. Joly (Hector), Traité de la chambre des comptes de Dijon (…). Dijon, chez Pierre Palliot, 1653, [8]-112 pages, in fol. 

La première histoire de la chambre, publiée par un conseiller maître de celle-ci. Est présentée la seconde édition de cet ouvrage, revue et augmentée par rapport à la première, parue en 1640.

Archives départementales de la Côte-d'Or, D2/1077.

  

 

85. Arbaumont (Jules d’), Armorial de la chambre des comptes de Dijon (…), Dijon, Lamarche, 1881, lii-516 pages, in quarto.

Partant d’un ouvrage laissé manuscrit par un jésuite du XVIIIe siècle, le père Gautier († 1781), le complétant et le refondant totalement, l’étendant même au bureau des finances, l’érudit dijonnais Jules de Maulbon d’Arbaumont aboutit à ce qui constitue bien plus que l’armorial annoncé par le titre : un véritable dictionnaire biographique et généalogique des quelque 1400 membres qui ont constitué la chambre tout au long de son existence.

 

  

86-87. Deux travaux de juristes sur l’histoire médiévale de la chambre : 

Riandey (Paul), L’organisation financière de la Bourgogne sous Philippe le Hardi, [thèse de droit], Dijon, Nourry, 1908, 199 pages, in-8°.

 

Andt (Édouard), La chambre des comptes de Dijon à l’époque des ducs valois. Tome premier, Paris, Librairie Sirey, 1924, 244 pages, in-8°. 

Depuis leur parution, ces deux ouvrages, qui ne portent que sur les origines de la chambre et sous un angle d’approche exclusivement institutionnel, n’ont pas eu de postérité …

 

 

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